le remplaçant

29 novembre 2010

Ce n'est pas un roman, mais un récit. Un récit magnifiquement écrit. Agnès Desarthe (à qui je voue une très grande admiration pour plein de raisons) part "en quête" de son grand-père. Qui n'est pas vraiment son grand-père mais l'homme avec lequel sa grand-mère maternelle a décidé de vivre après avoir compris que son mari ne rentrerait jamais d'Auschwitz. Cet homme, c'est "le remplaçant" : "Triple B avait le bon goût de n'être pas à la hauteur du disparu; ni aussi beau, ni aussi intelligent, ni aussi poétique que le mort qu'il remplaçait". Lorsqu'elle commence ce livre, Triple B (Bouz, Boris, Baruch) a 96 ans et est alité chez lui. Pas d'enquête, de recherches ou d'interviews, Agnès Desarthe fait confiance à ses souvenirs, ses impressions et à son imagination ("Je préfère inventer") pour rendre hommage à cet homme, tenter de le connaître, de le comprendre. Cet homme qui a lui aussi perdu une femme à Auschwitz, qui n'a pas pu ou pas eu le temps d'être père. Elle dresse un portrait bouleversant de ce formidable conteur d'histoires. En parlant de lui, elle parle d'elle aussi, en filigrane. De ses perceptions d'enfants, de son rapport à la lecture, au passé, à la famille. Elle partage quelques pensées subtiles et fines sur la maternité et l'éducation. À la fin du récit, elle glisse vers Janusz Korzack, directeur de l'orphelinat du ghetto de Varsovie, l'homme auquel elle avait d'abord prévu de consacrer un livre avant que "le remplaçant" vienne l'éclipser. Un pédagogue extraordinaire tout entier dévoué aux enfants et qui choisira de mourir avec eux. Les dernières pages d e ce livre sont d'une force inouïe. Avec Agnès Desarthe pas de pathos. L'émotion est d'autant plus grande qu'elle ne se départit jamais de la réflexion et de l'intelligence.